« En est-on capables ? » Je crois que c’est toujours cette phrase qui nous prend aux tripes, qui nous donne des sueurs froides, et nous fait tout remettre en question, juste avant d’attaquer une ascension. Cette même question que l’on se pose pourtant déjà bien avant, en préparant le voyage, quand on est encore peu conscients de ce qui nous attend. Cette question que l’on prend à la légère en répondant oui dans un sourire et qui n’a pas le même poids, quand le défi est encore abstrait et impalpable.

Ces derniers mois et ces dernières années nous ont appris que oui, à notre niveau, nous nous étions capables de bien des choses qui me paraissaient irréalisables. Je n’ai jamais eu un grand niveau sportif, mais je crois que le bonheur d’être en montagne et de partir découvrir des paysages à la seule force de mes jambes suffit à me motiver. Cap de traverser Mafate puis de monter au Piton des Neiges dans la foulée ? Oui ! Cap de marcher quatre jours en Écosse avec 15kg sur le dos ? C’était difficile mais on a réussi, tous les deux. Et à chaque fois que l’on a atteint les sommets (le souffle court) à chaque fois que l’on est retournés au point de départ (les jambes en vrac) on était surpris d’y être arrivé. Éreintés oui, mais le bonheur était si fort, que chaque fois je me réjouissais de savoir repousser encore un peu plus mes limites, d’aller toujours plus loin dans l’effort pour me sentir plus vivante. Vivante et fière de l’avoir fait.



Et si l’on avait vu trop grand cette fois, lorsque Yoan d’Ax 3 Domaines, nous propose une sortie en alpinisme pour découvrir la région ? En alpinisme. Ce simple mot me fait tant rêver. J’imagine les sommets les plus hauts, les périples les plus dangereux, des explorateurs de l’extrême, les vertiges et la difficulté absolue. Cette petite journée de découverte n’est pas grand chose à côté d’une ascension du Mont Blanc, et pourtant le simple fait de chausser des crampons me faisait rêver. Quand ce genre de défis apparait soudainement dans notre vie, je crois que le plus important, c’est d’essayer, sans réfléchir, en emportant sous le bras du courage et un peu de naïveté. On ne risque pas grand chose à tenter le coup, mais les souvenirs seront là pour toujours… Ce ne sont pas les journées de freelance seule à son bureau que Mamie Alice aura envie de raconter, mais bien toutes ces fois où elle a traversé des montagnes :)

– Crois-tu que nous en sommes capables ?
– oui, on est capables ! 
– CAP alors ! ♡

 

Il fait encore nuit quand nous rencontrons Simon, notre guide pour la journée. La vallée de l’Ariège défile dans le rétroviseur. Simon nous montre les cols, nous parle de ces régions que l’on ne voit pas, de l’autre côté des montagnes, mais c’est à peine si l’on arrive à en dessiner les contours, la nuit bleue aplati tous les reliefs. On s’arrête en bordure de route. Notre regard se perd vite dans la poudreuse tout autour et vers les sommets qui rosissent doucement. Simon nous équipe de DVA (Détecteurs de Victimes d’Avalanche) et on essaie tant bien que mal de faire rentrer baudrier, crampons et piolet dans les sacs à dos avant d’enfiler nos raquettes. La vallée est belle aux aurores, elle s’étend devant nous et je regarde Simon s’éloigner lentement dans les sons feutrés du matin.

Droit devant nous, le soleil vient réveiller les sommets encore endormis. Il titille les pics rocailleux et c’est dans ce décor magique, quand la neige est encore bleue, que nous commençons notre marche. Simon en profite pour nous dresser le portrait de la région : derrière ces montagnes sur notre gauche, c’est l’Espagne. Et derrière la crête, qui est notre objectif pour la journée, c’est l’Andorre.

↑ Derrière la chaine de montagne : l’Espagne / derrière le sommet tout rond : l’Andorre !


Il est 8h en partant et à ma question « on devrait être rentrés vers quelle heure ? » Simon répond calmement « vers 14h ». Je calcule rapidement en me disant que soit cela allait être plus facile que je ne le pensais, soit il oubliait que nous n’avons jamais fait ça… 1 000 m de dénivelé positif avec des raquettes et des crampons aux pieds, on nous avait prévenu que c’était ambitieux. Et pourtant, on est du genre têtu pour ces choses là, toujours poussés par l’envie de nous dépasser. Je prends doucement conscience que les raquettes seront nos meilleures amies-ennemies pour la journée. On les apprivoise plutôt rapidement en montée, mais la partie la plus délicate n’est pas pour tout de suite (nous n’aurons pas le même discours au retour ^^).



Simon nous ouvre le chemin dans la poudreuse, on suit sa trace avec précaution, on marche dans ses pas avec attention pour préserver les muscles le plus longtemps possible. Il a neigé toute la nuit et la couche de neige est bien épaisse ce matin. Et même s’il aurait été plus facile de marcher sur une fine couche craquante, cette poudreuse fraichement tombée rend le paysage tellement beau ! Les yeux rêveurs vers les sommets, on avance petit à petit dans ce décor majestueux. Il nous est difficile de suivre la cadence de ce guide chevronné, et même si c’est lui qui doit puiser le plus d’énergie pour faire la trace, chaque fois que je lève les yeux au loin, je le vois de plus en plus petit.

Dans ma poche, j’entends mon téléphone sonner plusieurs fois de suite, je devine la bonne nouvelle mais à peine le temps de lire le message sur l’écran que, gelé par le froid mon téléphone s’éteint. Mais je sais. Alors je m’arrête dans un virage pour contempler l’Ariège qui s’éclaire sous le soleil, en pensant très très fort à ma Laura. Et c’est ce petit bonheur qui me fera tenir le long chemin du retour, merci Avril :)

La première grosse montée de la matinée nous donne le ton : purée ça grimpe ! Et à 1 700 mètres d’altitude dans le vent on se crame vite les poumons. Une ascension en hiver n’a rien à voir avec la montagne en été, même à plus haute altitude. Assez vite, l’effort se fait intense, on comprend vite la difficulté (mais aussi le kiff, c’est là tout le paradoxe) que de marcher dans la neige. Avec le vent la température ressentie est environ de – 15°C, il ne fait pas bon s’arrêter, les muscles se figent vite. Mais le soleil apparaît soudain derrière la montagne, un peu plus de deux heures de marche après notre départ.

La marche se fait dans le silence. J’ai envie de poser des questions à Simon mais je sens que je perds vite mon souffle (et puis de toute façon, il est trop loin haha !). Alors on avance, chacun espacés de plusieurs mètres, chacun à son rythme. Mon regard se plante dans les traces de pas devant moi et je me rends compte qu’elles sont de plus en plus profondes. Je jette quelques coups d’œil en arrière pour étudier le chemin déjà parcouru, mais c’est surtout droit devant que mon esprit se projette. Ok, c’est ici que ça va se corser. Les virages en épingles pour progresser dans la pente sont de plus en plus compliqués à passer avec les raquettes. Je m’enfonce dans la poudreuse chaque fois un peu plus. Il ne reste plus que 200 mètres pour arriver au sommet du Pic de Pédrons. On en chie, sous mon manteau je sens les gouttes perler sur mon torse, mais on s’accroche. La neige fraiche qui n’a pas eu le temps de geler rend l’ascension plus compliquée que prévue, alors Simon prend de l’avance pour nous trouver le meilleur chemin pour affronter la pente. Je m’arrête quelques instants pour reprendre mon souffle et la beauté du lieu me submerge, je n’en reviens pas d’être ici, de faire ça, aujourd’hui. Je ravale quelques larmes : quelle magnifique façon que de commencer 2018, les pieds dans la neige, la tête vers les sommets. Les courbes, les roches, l’ombre des montagnes dans la neige, ce ciel bleu profond, et Simon, là, tout petit, fragile au milieu des forces qui l’entourent : le rocher, la glace, le vent, le froid.




*Merci Simon pour quelques unes de ces photos

On range les raquettes, on enfile les crampons et le baudrier tant bien que mal dans la poudreuse, on avale un en-cas avant de vite repartir. En plein vent et à l’ombre les muscles se refroidissent très vite, il ne faut pas trainer. On finira la dernière montée jusqu’au col encordés pour progresser plus facilement et surtout, pour plus en sécurité. J’avais imaginé marcher sur de la roche pour cette deuxième partie, mais il y’a encore beaucoup de neige, et même plus. Simon est grand et les marches qu’il forme dans la poudreuse sont vraiment hautes. La neige m’arrive aux genoux, parfois jusqu’aux hanches et il faut que je tasse prudemment chacun de mes pas dans les siens sinon tout s’écroule. Malgré les bâtons qui m’aident à me soulever, je m’épuise à chaque pas. Lentement, le souffle court, l’esprit concentré et le rythme cardiaque déchainé, nous avançons dans la pente raide. La tension de la corde me frôle les jambes, je puise chaque fois un peu plus de force dans mes mollets qui s’enflamment et je n’ai pas d’autre choix que d’avancer pour enfin atteindre le sommet qui culmine à 2 715 m d’attitude. Passé le col, côté Andorre, la face est plus exposée au vent et la neige plus gelée rend la fin de l’ascension un peu plus facile pour nos jambes.

Là-haut, au sommet du pic de Pédrons, le panorama s’ouvre à 360° devant nous. Ici, seuls tout en haut d’une montagne à la frontière de l’Andorre, après cinq heures de marche, on l’a fait. Et la fatigue que l’on peut lire sur nos visages n’enlève en rien le bonheur d’y être arrivé, au contraire ! Heureuse d’avoir relevé ce défi qui a surgit dans notre quotidien, tellement heureuse d’avoir pu réaliser un de ces rêves noté un jour dans mon carnet des « choses à vivre », je peux désormais dessiner une coche devant « faire de l’alpinisme ».

 

Au sommet du Pic de Pédrons, vue sur l’Andorre, puis sur la vallée de l’Ariège

Le vent souffle fort, on profite un peu du ciel bleu qui ouvre loin le paysage, mais on ne traine pas, la journée n’est pas terminée. Et si l’aller n’était pas de tout repos, vient le moment que je redoute le plus, comme à chaque sortie en montagne. La descente n’est jamais tendre pour mes genoux et cette fois-ci, avec les raquettes aux pieds, le retour m’a paru interminable… Je voyais notre guide détaler, les pas fluides qui font danser la neige derrière lui tandis que je glissais difficilement les miens dans la poudreuse, bloquant mes appuis, en me tordant le chevilles une fois sur trois. Ce retour fut assurément le plus pénible, chaque descente m’enflammant un peu plus les genoux et les cuisses et c’est à 17h que le dernier de nous deux (je ne dirais pas lequel ^^) a enfin rejoint Simon qui nous attendait à la voiture.


Merci Simon de nous avoir permis de vivre ça, ici, d’avoir su si bien partager ta passion. On est vraiment reconnaissants d’avoir pu vivre cette expérience, encore une qui restera gravée pour longtemps :) Chaque fois, je prends un vrai plaisir à titiller cette envie, ce besoin toujours plus fort de me dépasser. Je mesure le bonheur d’être toute petite, un rien du tout dans ces montagnes, mais bien vivante, avec la joie, les douleurs et les faiblesses qui m’accompagnent. Chaque fois, c’est plus qu’un dépassement physique, mais bien une exploration plus lointaine, un retranchement intime qui permet de toucher du bout des doigts ses limites et de les repousser encore un peu plus. C’était intense pour une première sortie en alpinisme, mais on l’a fait. Maintenant on le sait, on est cap.

 

Un bouquin

Je pense souvent au témoignage de Cheryl Strayed, qui raconte dans « Wild » son trek sur le Pacific Crest Trail (d’ailleurs, si ce n’est pas déjà fait, je vous conseille mille fois de le lire). Tout au long de cette lecture on ressent presque dans nos pieds et nos épaules ses douleurs et ses difficultés, on voit les paysages qu’elle nous décrit, on vit avec elle les rencontres qu’elle fait, mais surtout, on prend conscience du chemin qu’elle parcoure, sur le PCT mais aussi au plus profond d’elle même. Ce récit a agit sur moi comme un leit motiv : on n’abandonne pas, jamais.


Un documentaire

Valley Uprising, dispo sur Netflix. Ce documentaire retrace l’histoire de l’escalade dans le parc national du Yosemite depuis les années 50 jusqu’aujourd’hui. Si les images font à elles seules rêver et frissonner, si l’histoire de la société américaine est vraiment bien traitée, c’est surtout cette détermination et la volonté de l’homme à repousser toujours plus les limites qui m’a fasciné ! On y voit les nouvelles générations gravir des falaises sans aucun équipement, en quelques heures seulement, quand leur mentors, 30 ou 40 ans avant eux mettaient 1 an ou 1 semaine pour atteindre le sommet. À dévorer, que l’on soit accro de l’escalade ou pas !


Un compte instagram

Pour suivre des ascensions en montagne en ski de rando et en crampons, pour bivouaquer dans la neige, pour construire des igloos, marcher sur des arrêtes glacées ou juste apprécier des levers ou des couchers de soleil depuis les sommets… je vous conseille sans plus tarder de vous abonner au compte instagram de Pierre Vignaux :)


Un podcast

Je vous partage cette rencontre pour voyager encore un peu plus à travers les vagabondages verticaux de Stéphanie Bodet dans l’émission Le Temps d’un bivouac sur France Inter. On y retrouve l’essentiel, on fait corps avec la nature et notre esprit s’élève sous les mots de cette grimpeuse qui décrit avec beauté et poésie ses aventures et les lieux qu’elle découvre au cours de sa vie. On sent presque la roche sous nos doigts, le vertige sous nos pieds et la fragilité du monde. J’aime cette façon de vivre ce sport comme une méditation.


Un festival

Si vous aimez les films d’aventures et de montagnes, deux évènements à ne pas louper en mars/avril pour faire le plein de jolies images : Montagnes en Scène (le 18 avril à Lille) et/ou le Banff (le 3 avril à Lille). Ce sera une première pour nous, le programme du premier festival fait déjà rêver :) Vous connaissez ?


Pour vivre l’aventure

Adressez-vous au Bureau des Guides à Ax 3 Domaines pour réserver une sortie alpinisme. Il existe plusieurs niveaux pour découvrir la région raquettes et crampons aux pieds, mais même pour le niveau 1 ou 2 pensé pour celles et ceux n’ayant jamais pratiqué d’alpinisme, il est conseillé d’avoir une très bonne condition physique.

 

 

Et vous alors, qu’est ce qui vous fait vous sentir plus vivant.e.s que jamais ? Êtes-vous cap ?

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